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Références
Petits poèmes en prose : L'Etranger, Baudelaire
Texte
- Qui aimes-tu le mieux, hommes énigmatique, dis ? ton père,
ta mère, ta sœur ou ton frère ?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
- Tes amis ?
- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à
ce jour inconnu.
- Ta patrie ?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté ?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L'or ?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... les merveilleux nuages!
Questions
L'Etranger, un poème en prose assez énigmatique, nous permet
de mieux comprendre la condition du poète et ses relations avec le reste
de l'humanité.
Le caractère énigmatique du poème émane en fait
autant de sa forme que de l'anonymat des interlocuteurs ou encore de l'aspect
surprenant voire déroutant des réponses de l'Etranger. On note
une alternance de questions et de réponses, mais aussi une absence de
guillemets et tout cela fait douter de la réalité d'un véritable
dialogue, même si dans un premier temps on a l'impression d'assister à
un interrogatoire dont l'objectif serait d'établir la fiche d'identité
de l'étranger.
Notons aussi la familiarité du questionneur qui jusqu'au bout utilise
le tutoiement alors que l'étranger semble se maintenir à distance
par le vouvoiement : l'émetteur des questions n'est donc qu'une voix neutralisée
qui permet un dialogue avec soi-même.
Les questions sont de nature différente, toutes fermées dans
un premier temps, ouverte pour la dernière. Tout se passe comme si on
voulait intégrer l'étranger dans un cadre bien défini :
familial, relationnel, politique, esthétique, matériel ou même
religieux. Or nous pouvons noter que toutes ces questions donnent lieu à
des réponses négatives (voir la multiplication des négations
ou des mots qui s'y rattachent : inconnu, j'ignore, je hais, etc.). Tout ceci
ne nous renseigne guère mais la dernière question ouverte, quant
à elle, nous permet de comprendre que l'étranger et donc le poète,
ne se laissent pas enfermer dans un cadre bien précis, qu'ils ont besoin
de liberté pour s'exprimer, et de quoi nourrir leur imagination : seuls
les nuages trouvent grâce à leurs yeux ; sans doute est-ce parce
qu'ils viennent comme eux d'ailleurs, qu'ils n'ont comme eux ni attache ni patrie
; ils sont insaisissables, multiformes, légers, aériens, célestes
; qui mieux que les nuages pouvaient représenter le poète lui-même
?
On comprend dès lors que l'Etranger ne constitue rien d'autre qu'un
autoportrait de Baudelaire. Comme son personnage, le poète est sans famille
ni amis, apatride et tourmenté par un environnement destructeur.
Les questions, on l'a vu, portent sur des valeurs considérées
comme essentielles, mais il apparaît justement que l'artiste est une personne
qui se différencie des autres hommes ; le titre du poème est significatif
: l'Etranger est celui qui n'est pas du même pays, qui n'a pas d'attache
à l'endroit où il vit et qui le plus souvent rêve de retourner
un jour dans sa véritable patrie. Pour Baudelaire, le poète est
un sorte d'être bâtard, de médium, d'être intermédiaire
entre les hommes et l'au-delà et toute son énergie, il la consacre
à s'élever, à se détacher des contraintes matérielles.
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