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L´injustice sociale - La Bruyère
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Texte

 Il y a des misères sur la terre qui saisissent le coeur. Il manque à quelques-uns jusqu'aux aliments ; ils redoutent l'hiver ; ils appréchendent de vivre. l'on mange ailleurs des fruits précoces ; l'on force la terre et les saisons pour fournir à sa délicatesse : de simples bourgeois, seulement à cause qu'ils étaient riches, ont eu l'audce d'avaler en un seul morceau la nourriture de cent familles. Tienne qui voudra contre de si grandes extrémités ; je ne veux être, si je le puis, ni malheureux, ni heureux ; je me jette et me réfugie dans la médiocrité.

Il y a une espèce de honte d'être heureux à la vue de certaines misères.

L'on voit certains animaux farouches, des mâles, et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides, et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine ; et en effet ils sont des hommes. Ils se retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent de pain noir, d'eau et de racines : ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu'ils ont semé.

Si je compare ensemble les deux conditions des hommes les plus opposées, je veux dire les grands avec le peuple, ce dernier me paraît content du nécessaire, et les autres sont inquiets et pauvres avec le superflu. Un homme du peuple ne saurait faire aucun mal ; un grand ne veut faire aucun bien et est capable de grands maux. L'un ne se forme et ne s'exerce que dans les choses qui sont utiles ; l'autre y joint les pernicieuses. Là se montrent ingénument la grossièreté et la franchise ; ici se cache une sève maligne et corrompue sous l'écorce de la politesse. Le peuple n'a guère d'esprit, et les grands n'ont point d'âme : celui-là a un bon fond et n'a point de dehors, ceux-ci n'ont que des dehors et qu'une simple superficie. Faut-il opter ? Je ne balance pas : je veux être peuple.

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Questions

Comment La Bruyère exprime-t-il son émotion dans les 2 premiers paragraphes ?

Dans ce premier paragraphe, La Bruyère accuse implicitement les riches de l'être au dépens du peuple : il exprime successivement des sentiments de pitié, d'indignation, de stupéfaction jusqu'à aboutir, à la ligne 10, à la honte ; La Bruyère cherche à culpabiliser tous ceux dont le comportement même inconscient détruit la vie des plus misérables.

Quelle figure de style trouve-t-on dans la deuxième phrase ?

La deuxième phrase est construite sur une gradation : «il manque [...] ils redoutent [...] il appréhendent» destinée à faire monter la colère et la révolte du lecteur.

Comment se manifeste l'égoïsme des classes aisées ?

Les nobles gâchent la nourriture dont beaucoup manquent.

Expliquez la notion de «honte».

Dans le deuxième paragraphe, La Bruyère souhaite une véritable prise de conscience de la part de ses contemporains riches : implicitement, il trouve qu'il est impudique d'étaler ses richesses alors que d'autres meurent de faim ; de ce sentiment de culpabilité devrait surgir un minimum de solidarité. Malheureusement l'aveuglement de la Noblesse du dix-septième siècle semble incurable.

En quoi cette évocation des paysans est-elle réaliste et poignante ?

La description des paysans est particulièrement réaliste dans la mesure où elle donne d'eux l'image d'animaux : le vocabulaire employé le démontre : mâle, femelle, répandus, attachés à la terre qu'ils fouillent, ... Ce n'est que progressivement que, le vocabulaire changeant, que l'on s'aperçoit que ce sont des êtres à face humaine, qui se lèvent sur leurs pieds ... En réalité, puisqu'on parle de tanière, La Bruyère montre que des êtres humains en sont réduits à vivre comme des bêtes, et à manger des racines. Quel paradoxe que de voir ceux qui produisent d'être privés de tout !

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